UN PETIT BOUT DE PÈRE NOËL
- Anne Ballner
- 18 déc. 2024
- 3 min de lecture
Sur un quai de métro londonien, trois Pères Noël avachis sur un banc :
Markus : Je ne supporte pas ce truc. Ça gratte, ça tient trop chaud !
John : Arrête de râler Markus. C'est un job en or, je le fais depuis dix ans. Il faut tenir trois semaines sinon tu n'auras pas la prime et en plus ils ne te reprendront pas l'année prochaine.
Markus : Tu parles d'une perspective ! Si je n'étais pas au chômage, jamais je n'aurais imaginé faire un job pareil. Tu veux savoir, moi pour commencer, le Père Noël, je le déteste. Quand j'étais gamin, j'en ai vu deux s'étriper pour un bout de trottoir devant Harrod's. Ils ont cassé mon rêve, m'ont sorti de l'enfance aux forceps. Ça n'a plus jamais été pareil après. Alors l'année prochaine, faut pas compter sur moi. Quitte à avoir une hotte, plutôt livrer des sushis !
Peter : Oh là, tu dis ça gamin, mais tu verras. Moi, ça fait vingt-sept ans que je le fais. Je reviens avec plaisir tous les ans. Les enfants qui te regardent avec de grands yeux émerveillés, leurs parents qui en sont tout attendris. Une fois, j'ai failli faire la fête de Noël des employés de Buckingham. Tu imagines ? La Reine aurait fait la queue pour la photo.
Markus : Et pourquoi tu ne l'as pas fait ?
Peter : Casier pas vierge. Pas besoin d'être un ange pour faire le Père Noël, mais pour rentrer au palais, si.
John : Bon Markus, j'ai une proposition à te faire pour supporter ta perruque. Ta tignasse frisée, c'est elle qui te tient chaud. Tu la rases, elle repoussera, et tu passes un mois de décembre au frais.
Markus : Ça va pas la tête ? J'ai une vie moi après la vie de père Noël. Les gars de mon groupe, ils vont dire quoi si je me ramène comme un skinhead avec ma basse ? Et ma gamine, tu veux qu'elle hurle quand je rentre le soir ?
John : Moi je dis ça pour t’aider. A chaque problème sa solution. Il faut savoir prioriser.
Peter : Tu parles comme un col blanc l'ami. À part père Noël, tu fais quoi ?
John : Je suis à la retraite et je m'enquiquine ferme. Je travaillais comme consultant dans l’industrie chimique. Mais c’est loin tout ça. Ma femme est partie, elle ne me consultait plus du tout. Mes enfants, je les vois deux ou trois fois par an. Et rarement à Noël. Alors ce job, ça m’occupe un mois dans les lumières des vitrines, le vin et les marrons chauds, à ne pas me demander si ils viendront cette année.
Peter : Moi , je n’attends personne. Mon rêve, ce serait de passer Noël sur une île grecque, sur une plage complètement sauvage. Et personne pour me casser les pieds. Une petite barque pour pêcher à la palangrotte, une épicerie au village, et c’est tout.
John : Tu es sûr qu’il fait beau en Grèce à Noël ?
Peter : Je ne sais pas, mais j’ai envie de bleu. Trop de gris ici, trop de bruit, trop de rouge tant qu’on y est.
Markus : J’ai un fil à la patte avec ma fille et ma compagne. Je ne peux pas m’échapper. Ce qui me plairait, ce serait de fêter Noël dans un pub en faisant le bœuf toute la nuit.
Peter : Pourquoi tu veux faire le bœuf à Noël ? Berger, c’est mieux.
Markus : Mais non Peter, faire le boeuf, c’est faire de l’impro avec ma basse.
Peter : Au oui, c’est vrai, tu es musicien.
John : Moi, ce qui me plairait, ce serait de passer Noël ici, à Londres tout à côté de chez moi, chez ma voisine. Elle me plait bien, mais à part dépanner son ordi, je ne sais pas comment l’approcher.
Peter : Achète-lui du parfum et un Christmas pudding, et sonne chez elle en Père Noël.
Markus : Pas très sexy le Père Noël...
Peter : Oui, mais c’est drôle. Bon alors tu mets un beau costume de l’époque où tu bossais et une jolie cravate.
John : Il faudrait surtout que je prenne mon courage à deux mains. Je suis un peu rouillé côté séduction.
Peter : Bon alors pour résumer, Markus, tu accordes ta basse, John tu bois un bon coup et tu traverses le palier et moi, j’achète un aller simple pour Karpathos.
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